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Meliepapillon
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Meliepapillon
31 août 2006

Pa pa chong

La première fois que je suis allée dans le village natal de mon père, j’avais dix ans. La maison de mes grands-parents se prélassait face à un ruisseau de montagne et dans sa cour picoraient en toute candeur des canards et des poules, traînant leurs ribambelles de poussins et de canetons.

Mon grand-père, comme la plupart de ses amis et voisins, cultivait du riz dans les rizières qui s’épandaient à perte de vue au pied des montagnes, et ma grand-mère récoltait sous ce climat heureux des brassées de fruits juteux et gorgés de soleil, des mangues, des poires, des pommes, des raisins…

C’était une petite femme vive qui avait dans le regard cet éclat de rire qu’ont parfois les vieilles de chez nous quand elles ont le visage plus ridé qu’une feuille de tabac séchée.

Elle était en effet toute bordée de gaieté, satisfaite d’une partie des jours qu’elle avait passés dans ce recoin du monde, son coin de paradis. Et c’était déjà beaucoup.

Moi, j’aimais par-dessus tout jouer sur les bords de la rivière, avec mon cousin Wei Wei.

Il y avait là un insecte que nous nous plaisions à pourchasser : le « Pa pa chong ». Si sa capture m’effrayait un peu, mon cousin, lui, excellait en cette activité de guet et d’action prompte et hardie, et grâce à sa vivacité et à son courage, je pouvais me délecter le soir venu d’un exquis plat de « Pa pa chong » sauté au wok !

C’est resté aujourd’hui encore un de mes meilleurs souvenirs culinaires.

Nous le dégustions en famille, quand la nuit tombante aux couleurs poil de loup venait insensiblement envelopper d’ombre les plaines vallonnées en aval de la rivière, à cette heure où la sérénade des cigales perce avec stridence dans le silence du village, las mais gâté, au repos.

Il y avait aussi ce pont, plus haut, qui reliait le village aux glèbes trempées des rizières dans lesquelles le soleil creusait au dos de mon grand-père des aires d’ombre et de luminance ondulantes.

Ce pont me séduisait, m’attachait, il comblait en moi un certain plaisir sensuel, je pouvais y rester des heures entières.

Je laissais mes mains errer sur ses surplombs, suivre les courbes épurées de la pierre, deviner les contours grossiers des lions protecteurs à ses pieds, et enfin mon regard se noyer dans les tréfonds poissonneux.

Certaines heures calmes aujourd’hui me halent à nouveau sur la piste de ces poissons, dans les remous vifs de ce ruisseau de montagne et je rêve de revenir, une fois, au village natal de mon père.

Mais ce rêve s’achèvera, et je le referai, et celui-ci encore prendra fin sur une journée grise, et je le rêverai à nouveau, et sans fin cet entêtement du même vouloir, car jamais je ne retournerai au village qui est désormais sous les eaux, englouti aujourd’hui, et demain aussi

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